Musique et Electro-acoustique

Un préamplificateur de haute qualité pour microphones


Lorsqu'on enregistre en amateur un concert de musique classique il est rarement possible d'installer de nombreux microphones : le temps manque et plus encore l'espace pour positionner des pieds parmi les musiciens ou l'assistance. Ce n'est d'ailleurs pas vraiment souhaitable : l'enregistrement en stéréo avec, par exemple, un simple couple de microphones cardioïdes écartés de 17 cm et orientés à environ 110° l'un de l'autre (configuration dite ORTF) fournit une image sonore cohérente et assez facilement équilibrée. Le signal issu de ce couple est principal et détermine le réglage du niveau à l'entrée de l'enregistreur. Tout au plus faut-il parfois "aider" un peu des solistes faiblards ou mal placés ou des choeurs trop lointains, mais avec prudence, à l'aide d'un couple de microphones supplémentaire, dont le signal ne vient qu'en appoint.

Je peux alors rédiger le cahier des charges de l'interface optimale à placer entre les microphones et l'enregistreur que j'utilise :

- La transparence sonore doit être irréprochable. Le niveau de souffle rapporté à l'entrée est moins critique, puisque je n'utilise que des micros électrostatiques dont le niveau de sortie est relativement élevé.
- L'encombrement et le poids sont des critères importants
- Alimentation par le secteur 220V.
- Il me faut 4 voies , comportant chacune un réglage de gain et un atténuateur en sortie, additionnées deux à gauche et deux à droite (pas de panoramique, pour rester simple, mais tout de même, çà ne serait pas inutile). Pas de réglage général du niveau de sortie ; si nécessaire le réglage à l'entrée de mon DAT peut jouer ce rôle.
- Le réglage du gain doit être précis, reproductible et associé à un dispositif de repérage du niveau de sortie avant atténuateur. C'est la seule façon d'utiliser toute la dynamique du préampli sans risquer la saturation.
- Le réglage d'atténuation doit être reproductible, permettant par exemple de retrouver au concert les réglages ajustés lors de la répétition.
- Une sortie directe avant atténuateur sur chaque voie permettrait d'ajouter 4 voies micro à ma console Mackie ou à l'interface Mackie Onyx 400F qui n'en comportent que 4 d'origine. Il m'arrive d'enregistrer du jazz et là on peut s'amuser à mettre des micros un peu partout.
- Niveau nominal de sortie +4dBu soit environ 1,2 volts rms. Marge avant écrêtage : au moins 18dB.
- Sortie symétriques.
- Alimentation fantôme 48v commutable sur chaque paire de voies.
- Pas d'inverseur de phase, mes câbles sont corrects. Pas de coupe-basses, les micros en possèdent et çà n'est pas souvent utile.

Sur internet, j'ai trouvé des sites pertinents et des gens sympathiques :

jmraudio , (merci Jean-Marc)
sonelec-musique,
1176neve.tripod.com ,

J'ai assemblé des éléments de schémas publiés par les uns et les autres pour satisfaire au mieux mon cahier des charges ; voici les choix principaux (voir schéma fonctionnel) :

- Sur une suggestion de Jean-Marc de jmraudio, l'élément amplificateur principal est le circuit intégré Burr-Brown SSM2019. Son gain peut être ajusté entre 60 et 0 dB en choisissant la valeur d'une seule résistance ; un commutateur à 12 positions fournit 12 valeurs reproductibles. Un ensemble de selfs, capacités et diodes zener protège l'entrée contre les interférences HF et les surtensions. Le circuit est alimenté en +/- 18 volts continu ; on peut espérer un seuil d'écrêtage d'au moins 33 v crête à crête, soit 11.7 V rms ou encore presque 24 dBu. Si on définit le niveau nominal de sortie à +4dBu, la marge est de 20dB avant écrêtage.

- Le signal de sortie de chaque SSM2019 attaque en parallèle :

- un dispositif de repérage du niveau du signal allumant 4 LED au franchissement de 4 niveaux précis, espacés de 12 dB ( on pourrait choisir d'autres valeurs). Le calage de l'ensemble, avec un signal à 1 kHz constant, par rapport à la saturation du SSM2019 pourrait être : LED rouge à 8 dB sous l'écrêtage, LED jaune à 20 dB sous l'écrêtage (soit +4 dBu), première verte à 32 dB sous l'écrêtage (soit -8 dBu), seconde verte à 40 dB sous l'écrêtage (-20 dBu). Il ne faut cependant pas oublier que le signal réel est constamment fluctuant : Bob Katz (un pape du mastering aux USA) considère qu'en musique classique on peut observer des crêtes de signal à 20 dB au dessus de la valeur moyenne telle que donnée par un VU-mètre normalisé. Dans notre dispositif un condensateur lisse les fluctuations d'allumage des diodes, sa valeur doit être ajustée expérimentalement de telle façon que lorsque la diode jaune paraît presque constamment allumée, la diode rouge s'allume rarement et un contrôle à l'oscilloscope ne fasse pas apparaître de pointes écrêtées. Le plus important est ensuite de ne plus toucher au schéma et de se familiariser avec son appareil.
- une prise de sortie directe à +4 dBu, au travers d'un circuit symétriseur DRV134,
- le potentiomètre de réglage du niveau de sortie, avant mélangeur. Ce potentiomètre est muni d'un gros bouton tournant devant une graduation précise et lisible. Lorsque par exemple on fait alterner sur la scène un choeur, puis un orchestre, puis à nouveau le choeur, etc, il est très dommageable de ne pas pouvoir reproduire rapidement et correctement les réglages de niveau.

Les curseurs des potentiomètres des voies 1L et 1R alimentent directement les circuits sommateurs ; par contre ceux des voies 2 et 3 passent par des circuits de panoramiques. L'idée est que les voies 1L et 1R amplifient les signaux du couple microphonique principal et sont toujours dirigés respectivement vers les voies gauche et droite, alors que les voies 2 et 3 peuvent recevoir les signaux de chanteurs ou d'instruments solistes qu'il faut pouvoir placer correctement entre gauche et droite.

Pour assurer la sommation à gauche et à droite, on utilise des sommateurs inverseurs OPA134 suivis de symétriseurs DRV134. Je n'ai pas encore réfléchi aux questions de niveau posés par la sommation. En principe l'ajout de deux signaux de même niveau mais sans rapport strict de phase conduit à un niveau total plus élevé de 3 dB. On pourrait alors risquer l'écrêtage dans les OPA134/DRV134. De plus je me suis aperçu en relisant les données du constructeur que le DRV134 a un gain de 6 dB ! A voir en détail.

J'ai décidé de réaliser l'alimentation secteur dans un petit coffret séparé, pour éliminer tout risque de ronflette par induction.
Le coffret principal (Elbomec chez Sélectronic) mesure L200 x H80 x P180. Mon circuit imprimé y tient juste et les faces avant et arrière sont bien garnies ; en fait c'est un peu trop juste.

Je suis ensuite passé à l'action : schéma électronique, circuit imprimé, prototype partiel et cablage. J'ai beaucoup attendu la livraison de certains composants, les ruptures de stock conduisant à des délais imprévisibles, mais enfin çà y est. Je m'approvisionne chez Selectronic et chez Radiospares ; il faut comparer les prix qui peuvent être très différents d'un article à l'autre.

Pour dessiner le schéma électronique j'utilise un logiciel, SDS.
Pour tracer le circuit imprimé, TDC.
Ces deux logiciels très simples d'usage tournent sous Win XP et sont mis gratuitement à disposition par Bruno Urbani. Merci Bruno, super logiciels.
Pour dessiner les faces avant et arrière (largeur 200, hauteur 80), "Designer de faces avant" en version française.
Ce logiciel est mis à disposition par la société Schaeffer AG qui peut ensuite réaliser et vous vendre la face que vous aurez dessinée ; mais vous pouvez aussi imprimer votre dessin et la réaliser par la méthode de votre choix.

A ce jour (24 juin 2005), la bête est enfin terminée. D'abord, quelques photos : vue interne globale, face avant extérieure, face arrière extérieure, intérieur de l'alimentation, vue des deux coffrets.

intérieur face arriere alim ensemble

A propos du cablage : faut-il utiliser du cable blindé ?

On peut remarquer sur les photos que je n'ai pratiquement pas utilisé de fil blindé, ce qui peut surprendre bien des débutants. Le cable blindé (1 ou 2 conducteurs entourés d'un blindage tressé) est nécessaire pour protéger un circuit amplifiant des tensions très faibles (des mV ou moins) contre les effets des champs électromagnétiques générés par les lignes 50 Hz, les tubes au néon, les variateurs des lampes à iode, les moteurs sur secteur, les cibistes, les mobylettes (ou leurs substituts modernes), etc, etc. Les dits circuits se comportent en effet comme des antennes réceptrices et transforment le champ capté en tensions perturbatrices qui s'ajoutent au signal utile. L'effet est d'autant plus important que les circuits ont une impédance élevée, par exemple des milliers d'ohms ou plus. Puisque un préamplificateur est enclos dans un coffret métallique relié à la masse, le coffret constitue un blindage suffisant vis à vis des perturbations extérieures et le cablage peut être réalisé en fil simple non blindé, avec quelques précautions simples :

- éloigner au moins de quelques mm les connexions de sortie, véhiculant des volts, et celles d'entrée qui conduisent des mV ; cette précaution est d'autant moins critique que nos circuits à transistors présentent généralement des impédances faibles, c'est à dire inférieures à qques milliers d'ohms ;
- connecter les circuits symétriques par des paires torsadées, dans lesquelles les éventuelles perturbations s'annulent, étant collectées en quantités égales et opposées sur chaque fil.
Avantage non négligeable, les fils simples présentent par rapport à la masse une capacité moindre que les fils blindés et assurent de ce fait une meilleure transmission des fréquences élevées (la transmission par lignes coaxiales d'impédance adaptée est un tout autre problème). Enfin, pour enfoncer le clou, vous aurez sûrement remarqué que les pistes des circuits imprimés sont des fils que personne ne s'amuse à blinder ...

Quelques premiers commentaires :

- Tout a fonctionné comme prévu dès la première mise sous tension.
- La rigidité de la face arrière (alu 15/10) est insuffisante pour supporter l'introduction des fiches jack et XLR dans les embases correspondantes. Il aurait fallu prévoir une épaisseur supérieure ou des renforts.
- Malgré la présence des capacités de 470 pF du filtre anti-HF, il s'est avéré nécessaire de placer des capacités de 220 pF directement aux bornes d'entrée des SSM2019, pour juguler une oscillation à 1MHz qui apparait pour les valeurs de gain élevées.
- Mon générateur BF ne couvre que la bande 20 à 20000 Hz, dans laquelle le préampli se tient à 0.1 dB près. Dans les basses, la bande passante signalée par Jean-Marc descendrait à 2 Hz, ce qui comporte plus d'inconvénients que d'avantages : l'ensemble devient exagérément sensible aux chocs sur les pieds de micros, sur les cables, etc, ainsi qu'aux moindres déplacements d'air. Je vais réduire la valeur des capas C1 et C2 pour limiter la bande passante au voisinage de 20 Hz. Dans les aigus, pas de problème apparent ; la bande doit être très large mais les précautions prises sont efficaces.
- Qualité sonore et bruit de fond : RAS, c'est très bon. A préciser à l'usage.
- Un point noir : les commutateurs de gain utilisés (Lorlin) ne sont pas fiables, il arrive que le contact se coupe brievement sur la voie 3, ce qui peut être catastrophique; je n'ose pas, tant que ce point n'est pas réglé, utiliser cette voie pour un micro essentiel.
- Je suis bien content d'avoir terminé. Coût des composants : environ 500 Euros (Selectronic + Radiospares + Segor Electronics (Allemagne)).
Si je devais compter mes heures l'appareil coûterait une fortune ...

A bientôt pour d'autres aventures .